J’utilise la photographie pour saisir de la matière à travers un paysage ne révélant aucun événement; et la vidéo pour saisir de la matière à travers un paysage révélant un unique événement: un passage du temps quasiment imperceptible. Plus précisément, ma recherche artistique a comme thématique la déconstruction du visible; on ne voit rien de ce que l’on devrait voir. C’est quelque chose de paradoxal car la photographie comme la vidéo permettent de montrer le monde dans lequel on vit, ce que l’on n’y voit. Mes prises de vue jouent à la limite de divers seuils: apparition-disparition, matière-immatière, opacité-transparence. Pour que ces différents seuils puissent apparaître, des éléments éphémères et fragiles sont saisis. Par exemple, de la pluie, de la neige, du brouillard, de la brume, ou encore de la glace. Je joue également avec la saturation de l’image. Il n’y a plus d’horizon, tout est ramené au même plan. La colorimétrie devient monochrome, une nuance de gris. La verticalité est écrasée, il n’y a plus de profondeur dans l’image et l’horizontalité est renversée à nonante degrés pour former une image verticale. Par ce biais, le paysage capté devient presque invisible et sans matière, pour se transformer en un espace de tâtonnement pour le regard. J’ai alors développé une manière de réaliser des images, en photographie comme en vidéo, donnant la possibilité aux spectateurs de s’émanciper de toutes les habitudes visuelles qu’ils ont pu acquérir. Il n’y a pas de récit, pas d’événement concret, il y a seulement un entrelacement entre l’image captée et le regard du spectateur.
Le passage de la photographie à la vidéo et vice versa produisent des effets inattendus. Ce glissement, cette tension qui songe est en quelque sorte une mise en suspend de l’image qui rompt avec toute narration. Il est difficile de percevoir si mes images bougent ou si elles sont immobiles. Je mets le spectateur dans un moment d’attente, il se demande s’il va arriver quelque chose. Il est difficile de savoir si je suis sur terre ou en l’air, ou encore quelle est l’échelle de l’objet capté. Au premier coup d’oeil, le spectateur est déstabilisé, il perd toute accroche. Je le désarçonne. C’est une manière de mettre en crise ses repères habituels pour qu’il puisse en acquérir de nouveaux. Je provoque chez l’observateur un déracinement de sa stabilité. Puis dans un deuxième temps, il prend conscience qu’il y a deux dimensions qui sont présentes: l’espace et la profondeur. Le contenu de l’image devient visible de manière lente et progressive ce qui l’oblige à ralentir la perception de ce qu’il voit. Il est ainsi plongé dans un silence et dans un espace-temps qu’il n’a plus l’habitude de prendre ni de sentir. J’uniformise ce que je vois, ce que je perçois, je déconstruis le visible, pour que le spectateur se le réapproprie. Une vibration, si infime qu’elle soit, s’installe entre le spectateur et ce qu’il regarde.