QUESTIONNAIRE INNUENDO

ARIANNE POLLET: De quelles manières la fiction intervient-elle dans votre travail ?

MARION BURNIER:
La fiction transforme les paysages captés par un glissement d’un médium (photographie)
à un autre (vidéo). Un jeu entre l’aspect actif et l’aspect passif du spectateur. D’un côté, je
le plonge dans un monde imagé direct et de l’autre je le mets en suspend pour susciter sa
contemplation et son imagination. L’important est de trouver la juste tension entre image
perçue et narration mentale. Un échange de singularité, un échange entre des pensées et
un affect. C’est un entrelacement de deux manières de produire, une mise en valeur de la
présence d’un art (photographie) dans un autre (vidéo). Pour ma part, ce n’est pas la fiction
qui construit une image, ou une image qui construit la fiction, c’est une combinaison insolite
qui se passe entre les deux, des fusions, des écarts.

AP: Pourriez-vous détailler le processus de création des images (technique, temps) ?
MB: Mes prises de vues sont intactes. Les images que je montre sont extraites du réel, une
certaine réalité mettons, un laps de temps ne révélant aucun événement particulier si ce
n’est le passage du temps quasiment imperceptible. Je ne fais aucun travail de retouche
durant la post-production. Je travaille en petit et grand format. Cela dépend dans quelle
situation je me trouve, les circonstances imposent le choix du médium. Entre deux séances,
le temps peut être très long. Par contre, le moment de la prise de vue est très court car
je capte de la matière à travers un paysage et dépends d’éléments naturels, fragiles et
éphémères.

AP: Quel est votre rapport au spectateur ?
MB: J’essaie de le désarçonner. En photographie, comme en vidéo, je donne la possibilité aux
spectateurs de s’émanciper de toutes les habitudes visuelles qu’il a pu construire. C’est une
manière de mettre en crise ses repères habituels pour qu’il puisse en acquérir de nouveaux.
Il n’y a pas de récit, pas d’événement concret, c’est un entrelacement entre l’image captée et
le regard du spectateur. Je déconstruis le visible, pour que le spectateur se le réapproprie.
Une vibration, si infime qu’elle soit, s’installe entre le spectateur et ce qu’il regarde. L’image
fixe ou l’image en mouvement devient un espace de tâtonnement pour son regard.

AP: Considérez-vous la fiction comme une notion critique?
MB: Non, je la considère comme une certaine forme de pensivité.

AP: De quelle manière la fiction peut-elle changer, éroder, notre manière de voir et
plus largement de vivre ?
MB: C’est, sans cesse, un aller-retour entre ce que l’on perçoit et ce que l’on désire voir. Comme
l’écrit C.-F. Ramuz : “Qui regarde ne voit plus. Qui regarde cesse de voir” (C.-F. Ramuz,
Remarques). Pour moi, cette réflexion souligne le fait que, ce n’est pas le spectateur qui ne
voit plus, mais son regard ne saurait plus être précis et suffisamment aiguisé dans ce qu’il
désire voir ou dans ce qu’il veut regarder.

AP: Vos héros dans la fiction?
MB: Hiro, une logopède

AP: Votre devise
MB: Création, dissolution, dissipation, reconstruction